Ushijima, l’usurier de l’ombre, MANABE Shohei

Je viens donc de m’enfiler une longue série de tomes qui n’est pas encore terminée en France et qui restera pour un certain temps une des mangas les plus déprimants que j’ai pu lire : « Ushijima, l’usurier de l’ombre » (VO : Yamikin Ushijima-kun) de MANABE Shohei qui a commencé la série en 2007 et continue encore aujourd’hui en l’an de grâce 2015.

Ca raconte le boulot quotidien d’un type qui fait partie d’une classe d’escroc particulier : les Yamikins qui proposent de la thune à des taux usuriers (10% tous les 10 jours par exemple) à des pauvres gens qui en ont « absolument besoin » et qui ne peuvent plus emprunter auprès d’organismes officiels. Quand les victimes ne peuvent plus payer normalement, les yamikins trouvent quand même une combine pour les essorer un peu plus. Et quand ils ne peuvent vraiment plus payer, poubelle.

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Dans les premiers tomes, l’auteur s’attache à décrire le système de l’intérieur : les combines pour attirer le chaland, pour le ferrer. Les diverses manières pour lui soutirer de la thune même quand le pigeon croit lui-même ne plus en avoir, les stratégies pour se défendre des forces de l’ordre et des autres yamikins, etc. Petit à petit, on passe des protagonistes principaux de la boîte de crédit à leurs victimes en devenir et là on tape dans du lourd : salary man, office girl, Freeter (alternant les petits boulots), Neeter (qui ne travaillent pas et vivent chez leurs parents), taxi dans un marché dérégulé à la Macron, les divers types de prostitution (y a plusieurs classes de prestige : celles qui se font payer pour faire acte de présence, celles qui ne font que sucer, celles qui font la totale, la prostitution infantile, les gigolos, etc. Tout ce petit monde semble cloisonné dans la mesure où il y a un marché légal pour chaque pratique, sauf l’infantile bien entendu…). J’en oublie une petite poignée d’autres. Vers la fin, le schéma général semble se répéter : dès qu’on voit un nouveau personnage, on sait qu’il va prendre cher. La question, c’est comment va-t-il se faire dépecer et est-ce qu’il lui restera quelque chose (argent, âme, vie) ? Mais cette répétition ne semble plus qu’un prétexte pour nous présenter ce qu’il y a de plus pourri dans la société japonaise, le yamikin devenant de moins en moins présent (comme les zombies dans Walking Dead). Cette société japonaise que Manabe dépeint, je ne sais pas si c’est de la légende urbaine ou à quel point le trait est caricaturé. Pour être plus parlant, c’est l’équivalent de la vieille émission « Streap Tease » cher à nos coeurs. Je ne suis pas certain que les japonais eux-même en soient conscients de cette faune ou du moins de la turpitude dans laquelle les pires d’entre eux sombrent, avec ou sans l’aide des yamikins. Il me semble avoir perçu des parallèles entre le destin de certains personnages et les travailleurs de Fukushima envoyés là-bas par les yakusas. Et si moi j’arrive à faire un parallèle, ce doit être à la portée de tout un chacun au Japon. Toujours est-il que le contenu de cette série est pour le moins intense et que c’est édifiant pour le lecteur occidental. Mais ce qui me touche plus particulièrement, c’est le marasme que vivent les protagonistes avant même de rentrer dans le système des yamikins : je suis en quelque sorte moi-même une sorte de Freeter avec ses rêves de jeunesse déçus et un horizon bouché, c’est donc particulièrement difficile de lire les états d’âmes qui font parfaitement écho à tout ceci. C’est probablement ce qui rend cette lecture bien plus éprouvante qu’un truc fantastique gore ou un gekiga politico-machin plus éloigné des préoccupations quotidiennes de chacun.

Bien entendu, les enfants, tout ce qui peut vous retourner les tripes, je ne peux que vous conseiller de le lire 😉

(gratos à la bibliothèque de Bordeaux…)