Dans mon plus pur style, j’interviens une fois de plus pour parler d’un livre… que je n’ai pas encore fini (mais que je finirai !). Je n’y tiens plus, j’ai envie d’en parler et pas envie d’attendre le dénouement du bouquin. Mon instinct me dis que la prochaine moitié ne changera pas mon opinion.
Les plus cultivés savent dès le titre de quel bouquin je parle : « Voyage au bout de la nuit » de Louis-Ferdinand Céline.
C’est un roman biographique parait-il fortement inspiré de certains aspects de la vie de l’auteur lui-même. On suit les tribulations (à la première personne du singulier) de Ferdinand Bardamu, un jeune étudiant parisien du début du 20ème siècle (1914 probablement) qui part faire la guerre, puis dans les colonies, puis à New York, puis de retour dans la banlieue parisienne, etc. (comprenez que j’en suis actuellement aux « aventures banlieusardes »).
Tout au long de ses tribulations, il observe et décrit son entourage, nous raconte ce qu’il pense de telle ou telle chose, des réactions des gens, des siennes. C’est en quelque sorte l’interprétation par Bardamu de sa propre évolution dans son écosystème. Et autant vous dire que les portraits qu’il dépeint ne le sont pas avec une belle encre de Chine, de nobles pigments ou en une délicate aquarelle. Ici, c’est plutôt avec de la merde, du pus et du vitriol. C’est joliment fait mais ça pue (joliment écrit en l’occurrence, dans un style ampoulé mais fluide). Ça me fait penser aux BDs de Frank Margerin aux scènes de rue très détaillées, caricaturales mais en plus sarcastique et plus noir. Un peu aussi à Carmen Cru de Lelong (certains personnages) ou aussi Cugel l’astucieux de Jack Vance (le côté veule de Bardamu).
Même si ce Bardamu/Céline n’est pas tendre avec ce qui l’entoure, pêche parfois par orgueil et souvent par lâcheté, il reste en retrait de l’action la plupart du temps. Ce n’est pas évident de s’en rendre compte, il est tellement habile dans son traitement acerbe qu’on se laisse facilement prendre au jeu et qu’on prend ce qu’il ne fait que décrire pour ce qu’il approuve. On se prend à renâcler contre le racisme ambiant qui suppure dans le passage du personnage aux colonies au point d’accuser le personnage d’y participer alors que Bardamu, même s’il fait preuve d’une sorte de paternalisme, jette en fait un regard écœuré sur ce racisme. Comme dit précédemment, c’est surement dû à sa passivité, à sa résignation face à ce à quoi il est sans cesse confronté. Résignation, nihilisme, c’est le fil rouge du bouquin (ou du moins de sa première moitié ^_^) malgré quelques sursauts de révolte au début ou rares bouffées d’optimisme.
Pour l’instant, le livre me plait bien et me fascine même. Je me rends compte petit à petit que je partage beaucoup avec ce personnage (d’où le titre du billet). Comme lui à force de rêvasser, d’observer, de se poser trop de questions, […], j’en viens aussi à voir la plupart de mes semblables sous le même angle que Bardamu/Céline (« la plupart » = « pas toi lecteur, bien sûr » <- petit moment de diplomatie pour préserver mon lectorat) : tous des crevards, des sous-merdes ou des vendus (enfin « tous »… on se comprend… 😉 ). Ah bien sûr, il y a des différences, je ne suis pas 100% Bardamu/Céline, on n’a pas la même histoire ni ne vivons dans le même contexte, etc. Il a des torts que je ne partage pas avec lui (et réciproquement) mais quoiqu’il en soit, munissez vous de ces « lunettes polarisantes » qu’est ce bouquin pour voir le monde un peu comme moi je le vois.
Vous comprendrez peut-être mieux pourquoi il vaut mieux me laisser ruminer dans ma tanière tel la grand-mère Henrouille…
Sur ce, je vais lire la suite.