Flattr = mort de la publicité en ligne ?

Flattr logoFlattr est un nouveau système de micropaiement en ligne et de mécénat publié durant l’été 2010 par Peter Sunde, cofondateur de The Pirate Bay, et Linus Olsson. Son système de fonctionnement équitable en fait une alternative crédible pour lutter contre la publicité en ligne.

Ca faisait un bon bout de temps que je voulais en parler sur mon blog pour en dire ce que j’en pense. Le temps est venu.

Micro-paiement ?

Tout d’abord, qu’est-ce que Flattr ? C’est ce qu’on appelle un service de micro-paiement en ligne. Qu’est-ce qu’un micro-paiement ? C’est le paiement d’une petite somme d’argent, généralement moins de 1€. A opposer au paiement classique par carte bancaire ou via le service Paypal (dont la société-mère est eBay) qui permet de payer de plus grosses sommes en quelques clics et en toute sécurité. Quel est l’intérêt de payer de si petites sommes (ex : 1 centime d’euro) ?? C’est tout simple : parce que c’est le prix qu’on vous impose de payer, parce que vous estimez que c’est ce que vaut ce que vous allez financer, parce que vous ne pouvez donner que ça, parce que vous ne voulez donner que ça, etc.

Le hic, c’est qu’apparemment, une transaction financière est un service qui a un prix. L’utilisation d’une carte bancaire, d’un chéquier, un virement, etc. tout ça a un prix : ça nécessite le développement de certaines technologies, l’utilisation de certaines infrastructures, l’emploi de personnel, l’utilisation de licences, etc. Votre banque peut vous fournir ces services gratuitement d’un côté mais elle se rembourse en frais de dossier, de fonctionnement, en rémunérant moins certains produits financiers, en augmentant les taux de crédit, en faisant payer le commerçant, etc. Et sur internet, le prix de ces transactions entraine un montant minimum et/ou une commission non négligeable. Citons par exemple Paypal qui prend 3.4% +0.25€ de charge fixe donc ils prélèvent 0.285€ sur 1€ (qui sera répercuté sur le prix d’une manière ou d’une autre…). Il y a aussi Google Checkout avec 2% + 0.20€ fixe soit 0.22€ prélevé sur 1€. Et pour payer 1 centime ? Vous voyez bien qu’avec les charges fixes, ça devient impossible (absurde plutôt). Il faut trouver une autre solution, une solution dite de micro-paiement.

Flattr en propose une : grosso modo, ils ont une charge de 10% du montant échangé, 0.10€ sur un échange de 1€. C’est énorme pour de grosses sommes mais ce n’est pas fait pour ça et ce n’est rien pour des échanges de l’ordre du centime d’euro.

Flattr, mode d’emploi

Flattr, c’est aussi plus simple et plus compliqué que ça : on s’inscrit gratuitement sur le site, on verse une somme (exemple 8€) sur son compte Flattr, on définit le montant maximum à dépenser chaque mois (exemple 2€). Durant le mois, en surfant, vous pouvez tomber sur un site qui adhère à Flattr et propose un bouton Flattr. Si ce que ce site vous propose vous plait – un article (information en ligne), un logiciel (logiciel libre, jeu vidéo), une vidéo/musique (artiste freelance), une image (BD en ligne, infographie) – alors vous cliquez sur ce bouton. A la fin du mois, la cagnotte mensuelle que vous avez prédéfinie (2€ dans mon exemple) est répartie selon les clics que vous avez effectués.

Si vous avez cliqué 28 fois dans le mois, avec une cagnotte mensuelle de 2€, ça vaut 0.07€ le clic. Dans ce mois, vous avez peut-être cliqué 15 fois sur les articles d’un seul site d’information, 3 fois sur les articles d’un blogueur, 10 fois sur un site de jeux en flash dont seuls 10 d’entre eux vous ont plu : le site d’information reçoit (15×0.07€) -10% = 0.95€, le blogueur (3×0.07) – 10% = 0.19€ et le site de jeux en flash (10×0.07) – 10% = 0.63€ soit 1.77€ distribués (avec 0.20€ perçu par Flattr et 3 centimes partis « dans la nature »…). Si vous n’utilisez pas votre cagnotte, celle-ci sera entièrement reversée à des œuvres caritatives.

Du côté webmaster, c’est le même compte qui est utilisé : un seul compte permet de donner et de percevoir des dons. Il est obligatoire de participer et de faire un versement initial Edit : ce n’est actuellement plus le cas, on peut recevoir des Flattrs sans investir. On peut ensuite intégrer plus ou moins automatiquement des boutons Flattr sur son site (articles, pages, commentaires, etc.). A la fin du mois, la cagnotte Flattr est créditée en fonction des clics effectués. Il y a une fiche pour chaque contenu soumis à Flattr et on peut surfer sur le site de Flattr pour voir le contenu proposé par l’ensemble de la communauté. Cette fiche, avec un « lien en dur », est d’ailleurs indexée sur Google 🙂

Un système de mécénat et de lutte contre la publicité en ligne

Comme pour les transactions bancaires, sur le net, rien n’est gratuit, absolument rien. Il y a toujours quelqu’un qui paye à un moment donné. Il faut payer les serveurs, il faut payer les « tuyaux ». Pour un modeste site comme celui-ci, je paye à peu près 4€ par mois pour qu’il fonctionne (en fait, ce n’est pas exact, je paye 4€ par mois pour l’ensemble de mes 10 petits sites « chassegnouf.net », ils ne sont pas tous égaux mais on va dire que c’est donc 0.4€/mois). Vous allez me dire qu’il y a des solutions gratuites pour proposer un blog, un forum, un site de généalogie, un wiki… mais le point commun à toutes ces solutions, c’est qu’ils proposent de la publicité. Je peux aussi financer l’hébergement de mon site avec de la publicité. En plus, la pub est envahissante visuellement mais, d’un côté, le visiteur n’est pas obligé de cliquer dessus et, de l’autre, il peut la bloquer avec son navigateur internet. Mais même invisible, même en ne cliquant pas dessus, on la paye quand même. Comment ? Les annonceurs font payer leurs services eux aussi aux industriels, commerçants, services dont on voit apparaître la pub sur nos pages. Et le prix de ce service est répercuté sur le prix des produits que nous consommons tous les jours. Même ceux consommés par ceux qui n’ont pas internet ^^’

Cette publicité en ligne, envahissante, inutile, rusée, créative ou (im)pitoyable, vous la payez quoiqu’il arrive et, ce n’est là que mon avis personnel, il faut l’éradiquer. Ce n’est toujours que mon opinion (même si je suis loin d’être le seul à le partager), sur le net, les solutions alternatives sont, d’une part, le paiement juste et équitable du travail effectué (les jeux en ligne, les musiques, les articles d’information, etc. nécessitent du temps et des efforts) ou d’autre part, le simple don, le mécénat (donner les moyens à autrui de faire ce qu’on aime le voir faire sans rien demander en échange, c’est un remerciement et/ou un encouragement). Sur ce dernier point, sur internet, il y a plein de sites dans ce cas là, qui proposent du contenu intéressant, introuvable ailleurs, très utile. Des sites qu’on aimerait remercier d’exister et qu’on voudrait voir perdurer (pour y revenir ou pour que d’autres puissent avoir l’occasion d’y aller). Pour mettre en œuvre ces deux solutions, il y a tout simplement le micro-paiement : pour payer un dessinateur de BD en ligne une très petite somme à chaque fois qu’il publie un dessin qu’on apprécie, un blogueur économiste, un site d’info, etc.

En leur offrant un autre moyen pour financer leur hébergement internet ou une autre source régulière importante (parce que nombreuse), on leur permet de ne pas dépendre de la publicité en ligne. Et par dessus le marché, on leur donne un signe d’encouragement ou on les rétribue pour leurs efforts sans graisser la patte à des intermédiaires sans scrupules (je pense là à iTunes qui prend une grosse part des titres audio qu’ils distribuent… un pousse-au-crime…).

Inconvénients ?

Bien sûr, il y a des inconvénients au système. Le premier, c’est l’inscription à ce système et l’impossibilité de « Flattrer » un site sans être inscrit sur le site. Mais faut relativiser ça : l’internaute moyen s’inscrit régulièrement à des tas de sites, un de plus ou un de moins… Un truc que j’apprécierais, ce serait que mon fournisseur d’accès internet propose une option de ce style, une part de l’abonnement internet ou un somme optionnelle qui puisse être distribuée comme pour la cagnotte Flattr.

Le versement obligatoire et préalable et le prélèvement de 10%. Ah ça, c’est un frein pour beaucoup. Je comprends. Si on ne sait pas trop ce qu’on va « flattrer » à l’avenir, je comprends qu’on puisse être hésitant à engager une somme aussi modeste soit elle. En ce qui me concerne, je lis régulièrement les articles du magazine numérique Numerama qui participe à Flattr. Je suis quasiment tous les articles et finalement, dans le mois, j’ai lu plus de choses que je n’aurais pu en lire dans un magazine papier du même type. Magazine que j’aurais payé plus cher à cause du papier. Je sais donc qu’au pire, ma cagnotte Flattr sera entièrement reversée à Numerama. Et au final, je suis plus frustré de ne pas pouvoir rétribuer avec Flattr d’autres sites que je visite régulièrement qu’inquiet de verser cette petite somme inutilement sur le compte Flattr. C’est mon point de vue.

Le système est encore jeune et les admins de Flattr ont laissé entendre que le taux de charge (qui sert à assurer les infrastructures) pourrait diminuer si le nombre de membres augmentent. Forcément, les frais de fonctionnement n’augmentent pas aussi vite que le nombre d’adhérents et la part de participation devrait couter de moins en moins cher. Après, les promesses n’engagent que ceux qui y croient, ils peuvent tout à fait ne pas respecter leur annonce. Ceci dit, si le système fonctionne, d’autres les copieront immanquablement, prendront moins de prélèvement, ils devront s’aligner.

On en vient à l’autre inconvénient, c’est le manque de membres dans la communauté Flattr. Même si Numerama en fait partie et est un poids non négligeable de l’actualité numérique francophone, ce n’est pas encore assez répandu à mon gout. C’est l’objet de ce billet, faire connaitre Flattr, son fonctionnement, ses avantages, ses défauts et de ses éventuelles alternatives (et en discuter !). Le système a besoin d’une masse critique pour être efficace. En enquêtant ici et là, il s’avère que certains gagnent plus avec Flattr qu’avec leur pub, c’est encourageant mais je ne sais pas si c’est le cas pour tout le monde. Par exemple, Numerama donne un mauvais exemple en ne donnant aucun retour sur leur expérience Flattr, on voit qu’il y a beaucoup de gens qui « flattrent » leurs articles mais ils font encore appel à la publicité en ligne.

Certains font référence à l’érosion progressive de la cagnotte Flattr (voir ici, ou ) : Flattr prélève 10% à chaque transaction ; transactions qui se font nécessairement entre des comptes Flattr (et pas avec l’extérieur). Ça veut dire qu’initialement, il y a une grosse somme mise sur Flattr et qu’à chaque clic, chaque transaction, la part échangeable de cette somme diminue et au fur et à mesure, celle cagnotte se réduit à peau de chagrin. Pour que le système survive, il faut obligatoirement rajouter de l’argent dans le système, réamorcer la pompe. Ca pose souci sur le principe, ça voudrait dire que si toute une société souscrit massivement à ce système de mécénat, il n’y aurait qu’un seul bénéficiaire final : les admins de Flattr et que cette société devrait trouver un moyen d’alimenter un tel système.

J’ai plusieurs bémols à apporter à cette hypothèse.  (1) Le système n’est pas fermé, les personnes « flattrées » peuvent récupérer l’argent que les visiteurs leur ont donné. Sans que Flattr ne prélève quoique ce soit pour cette dernière transaction (ce sera Paypal ou d’autres mais ce ne sont plus des micro-transactions). Flattr n’est donc pas le bénéficiaire ultime. (2) On dit que si la communauté augmente, le gateau augmente, Flattr devrait a priori prélever la même portion (un dixième) de ce gateau mais… Je n’ai pas fait les calculs précisément mais il me semble que le fait que la cagnotte mensuelle soit fixe entraine incidemment que si la communauté augmente, l’érosion (indiscutable) se fait de plus en plus lentement.

Elitisme : ce système ne laissera aucune chance à la médiocrité. Même si ce n’est pas sa vocation initiale, tous les membres de Flattr ne bénéficieront pas du système de la même manière (indépendamment des membres qui sont uniquement mécènes). Les problèmes de visibilité du contenu « Flattrable » entraineront une disparité, rares seront ceux qui, comme Paul Jorion, gagneront des milliers d’euros tous les mois grâce aux dons et majoritaires seront ceux qui n’auront jamais un seul clic. Il y a fort à penser que ce sont les contenus les plus intéressants qui bénéficieront du système et peut être pas ceux qui sont à peine moins intéressants (ou qui intéressent moins de monde de par la nature du contenu). Le souci c’est que la publicité est potentiellement partout, sur des contenus incontournables comme sur des sites insipides. Les sites insipides, on s’en tape mais ceux qui ne seront pas au Top de la visibilité Flattr auront alors quand même besoin de la publicité pour persister. L’espoir, c’est que tous les sites n’ont pas besoin d’engranger 3000€ par mois pour exister. Je garde espoir.

Influence éditoriale : Argh, c’est le seul vrai problème à mes yeux, ma hantise. Même si la publicité ne l’est pas, elle passe pour beaucoup pour indolore, inconséquente. Un clic sur AdBlock et c’est terminé. Du coup, il y a une ambiance certaine de gratuité, c’est la magie du net. Les webmasters les moins fortunés iront sur des gestionnaires de blogs ou de forums gratuits, feront fi de la publicité qui leur sera imposée et offriront en toute sincérité et en toute liberté ce qu’ils ont à donner aux internautes. Ça c’est avant Flattr. Une fois que le webmaster se sera rendu compte que ce qu’il offrait sincèrement aux autres n’était pour son bailleur qu’un moyen de se faire salement du pognon sur le dos de son innocence (oui bon je noircis…) et qu’il sera passé sur Flattr, il risque alors de ne poster, publier que pour avoir des clics. D’orienter sa politique éditoriale pour optimiser sa visibilité et accumuler toujours plus de clics (ou ne serait-ce qu’un seul ^^’), encore plus que pour être visible sur Google et attirer simplement des visiteurs. Rien que moi, vous avez vu mon nuage de tags ? Le Saint Cloud ? Ce n’est pas du tout optimisé. Pour bien sortir sur Flattr (qui utilise des mots-clés), il faudrait que je rentre dans le moule, que j’utilise des mots-clés classiques et que je perde mon âme ! Faut rester vigilant parce que je suppose que si j’accumule un jour quelques clics, je vais petit à petit être tenté d’en avoir une poignée de plus. Ne serait-ce qu’en publiant plus souvent, en privilégiant la quantité à la qualité. Le Gnouf m’en préserve…

Voilà pour mon petit billet.

Compléments d’informations :

L’article de numerama par lequel tout est arrivé (en ce qui me concerne).

Le premier bilan d’un blogueur ayant cédé à l’appel de Flattr, et un autre ici, etc. (je n’allonge pas la liste sous peine d’être taxé d’optimiste).

Petit retour d’expérience sur FlattR, réflexions, abandon ?

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